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 Etude des peintures murales avant restauration


CONTEXTE :
Les interventions de conservation des peintures murales anciennes nécessitent bien souvent une étude approfondie de la technique de ces peintures et de leur évolution dans le temps, afin d'aider les restaurateurs à adapter au mieux les protocoles de restauration. Les phénomènes d'altération en particulier peuvent rendre complexe la compréhension d'une œuvre et l'établissement des diagnostics des professionnels. En grande partie liés à la nature matérielle de la peinture, ils rendent indispensable la connaissance approfondie des matériaux constitutifs et de leur mise en œuvre. Les analyses physico-chimiques dont on dispose aujourd'hui permettent cette approche, ainsi que la mise en évidence d'indicateurs du déséquilibre du milieu de conservation.



OBJECTIFS (à définir)

  • Sur un ensemble de décors, étudier la technique des peintures et leur mise en œuvre par des observations précises sur le site et des analyses physico-chimiques.
  • Déterminer la stratigraphie complète des peintures depuis l'origine.
  • Caractériser les pigments et liants anciens et ceux apportés par les éventuelles restaurations successives.
  • Si possible et si l'importance du site le permet, mettre en corrélation les résultats des techniques picturales avec ceux d'études stylistiques et iconographiques menées en parallèle par les Historiens d'Art.
  • Etudier les phénomènes d'altération, et les traitements de surface des parties anciennes éventuellement conservées.
  • Evaluer les tests de consolidation (aide au choix du protocole de restauration).
  • Contribuer au programme de conservation du monument.



MÉTHODES MISES EN ŒUVRE (suivant problématique)

  • Stéréomicroscopie, microscopies optique et inversée.
  • Tests microchimiques (Bleu de Nil, Violet de Méthyle).
  • Fluorescence UV sous microscope optique équipé d'une lampe à mercure.
  • Microscopie électronique à balayage (MEB) avec imagerie en modes électrons secondaires (E.S., contrastes topographiques) ou rétrodiffusés (E.R.D, contrastes chimiques), couplée à une analyse élémentaire en dispersion d'énergie de rayons X (E.D.X.).
  • Diffraction de Rayons X, pour l'analyse des fractions minérales.
  • Spectroscopie IR à transformée de Fourier, pour l'identification des constituants organiques.



PRÉLÈVEMENTS

L'étude des échantillons est réalisée à partir de micro-prélèvements effectués in situ par nos soins si possible, en compagnie des restaurateurs. La localisation et le choix de l'échantillonnage sont établis en concertation, dans un souci de représentativité et afin de répondre au mieux à la problématique du site.




RÉSULTATS DE L'ÉTUDE

  • Dans le cadre de simples opérations de service, les résultats des analyses et observations sont regroupés dans un rapport détaillé, réalisé dans un délai moyen de 3 semaines après enregistrement (ou réception) des échantillons.
  • En collaboration avec les pouvoirs publics, ou sur la demande de commanditaires privés, nous sommes en mesure d'effectuer de manière autonome (ou de participer à) un programme de Recherche qui serait financé sur le long terme (modalités à définir en concertation).



EXEMPLE : Peintures murales d'un édifice religieux

(Extraits d'une étude de cas réalisée par M.-P. Etcheverry pour le compte de MSMAP)


I- Identification et état de conservation des restes de peinture médiévale dans les parties restaurées au XIXe s. :

L'étude en microscopies optique et électronique d'un très petit fragment de peinture en microsection a permis d'établir la stratigraphie de ces peintures murales (Fig. 1). Sous une couche superficielle grise (restauration du XIXe s., Fig. 1b, R) à base d'un mélange d'argile et de grains de calcite finement broyés, on distingue une couche vert-bleutée (Fig. 1b, 2a-2b) : il s'agit de la couche picturale médiévale, reposant sur une couche d'apprêt formée de chaux carbonatée (1).


Figure 1 :
a- Peintures murales restaurées, zone de prélèvement ;
b- vue en microsection de la couche médiévale vert-bleuté recouverte par une couche
picturale grise issue d'une restauration du XIXe s (microscope optique inversé, x 493).



La partie inférieure de la couche médiévale présente à fort grossissement une tonalité verte (Fig. 1b, 2a), tandis qu'elle est bleutée dans la partie supérieure (2b). L'observation au microscope électronique montre que la " sous-couche " verte est plus compacte et hétérogène, avec davantage de phases assurant la cohésion entre les grains constitutifs (Fig. 2a).


Figure 2 :
a- Microtexture de la couche picturale vert-bleutée (MEB, ERD, x 1300) ;
b- détail de la sous-couche verte (2a) et localisation des points d'analyse de la figure 3 (F3a,b,c).



Les analyses élémentaires révèlent que cette sous-couche verte est formée de phases de composition variable (Fig. 2b), plus ou moins enrichies en calcium, cuivre, plomb et chlore (Fig. 3), mais aussi localement en fer. La morphologie des phases sombres à l'image MEB, qui sont enrichies en calcium (Fig. 3a) et bordées de liserés clairs où se concentrent du plomb et du chlore (Fig. 3b), indique qu'il s'agit de phénomènes de dissolution et de phases néoformées.

Cette sous-couche verte est donc vraisemblablement le résultat de l'altération d'une couche picturale médiévale comportant un pigment à base de cuivre de type azurite, mêlé à un liant calcitique (chaux carbonatée ?). Sa teinte verte peut être notamment liée aux concentrations en chlore et cuivre enregistrées dans les phases interstitielles enrichies en cuivre, plomb et chlore (Fig. 3c). Il peut s'agir de phases de clinoatacamite (un chlorure de cuivre) associées à des phases riches en plomb ; ce plomb serait issu du liant et on a émis l'hypothèse qu'il pouvait provenir de l'utilisation d'une huile siccative au plomb. Dans cette sous-couche, on détecte également de rares particules de barytine (sulfate de baryum) et d'ocre.


Figure 3 : Spectres EDX d'analyse élémentaire de trois phases
constitutives de la sous-couche verte,
localisées sur la figure 2b (a- F3a ; b- F3b ; c- F3c).





La partie supérieure de tonalité bleue (Fig. 2a, 2b), probablement moins altérée, comporte également des composés à base de Pb, Cl et Cu, mais peu de phases interstitielles de type F3c. Il se peut que les sels de chlore, infiltrés depuis la maçonnerie comme semblent le prouver les traces de chlore détectées par ailleurs dans le liant du mortier-support et de la couche d'apprêt, aient préférentiellement réagi dans les zones d'interface couche picturale / support, entraînant ainsi un verdissement de la partie inférieure de la couche médiévale bleue.






II- Mise en évidence de phénomènes d'altération d'origine biogénique entraînant l'effritement des couches picturales :

Sur la surface externe d'une couche picturale rouge de restauration (XIXe s.), on remarque la présence d'un abondant dépôt blanchâtre (Fig. 1a et b, flèches).


Figure 1 : Vues globales au stéréomicroscope de fragments millimétriques de la couche picturale rouge,
a- en surface (x 23), b- en microsection (x 41).



L'étude d'un fragment en microsection par MEB-EDX permet d'identifier les constituants de la couche picturale rouge : elle apparaît formée d'un mélange d'argile (Fig. 2, A), de chaux carbonatée (Ca), de grains de quartz broyés (Q), et d'oxydes de fer (Fe, ocre rouge). Du soufre et du chlore sont également détectés.


Figure 2 : Microtexture (MEB, ERD) de la couche picturale rouge, a- x 600, b- x 2000.



L'observation au MEB de la partie supérieure de la couche rouge révèle d'importantes zones d'effritement (Fig. 3a, flèches), en relation avec la présence de nombreux agrégats de microparticules sphériques (Fig. 3b, flèches) qui constituent le dépôt blanchâtre (D).

L'analyse de cette couche de dépôt (D) montre qu'elle apparaît essentiellement formée de microsphères organiques (peu de contraste chimique avec la résine d'inclusion, R) ; certaines contiennent cependant des éléments de contraste comparable à celui des constituants de la couche picturale (Fig. 3b, flèches jaunes).


Figure 3 :
a- Vue en section de l'épaisseur de la couche picturale rouge en cours d'effrittement (MEB, ERD, x 300) ;
b- Détail de la surface au niveau des dépôts blanchâtres (MEB, ERD, x 1300).



Par ailleurs, l'observation MEB de la surface d'un fragment brut d'écaille rouge (Fig. 4a) montre qu'elle est presque entièrement recouverte par ces agrégats de microparticules sphériques qui paraissent reliées entre elles par de fines membranes organiques (Fig. 4b, flèches). Leurs morphologie et structure interne (Fig. 4c) indiquent qu'il s'agit d'une colonie de bactéries.


Figure 4 : Microtexture de la surface des fragments de la couche rouge (MEB, ERD), a- (x 3000), b- (x 11000). c- Microsphères observées en section (MEB, ERD, x 4500). Gy = cristallisations de gypse.

L'analyse élémentaire par MEB-EDX révèle qu'au sein de la colonie, des groupes de bactéries semblent avoir intégré dans leur organisme la plupart des éléments présents dans la couche picturale rouge : calcium (élément majeur), soufre, chlore, silicium, aluminium, potassium et fer (Fig. 5a).



D'autres, qui contiennent seulement calcium, soufre, carbone et des traces de chlore (Fig. 5b), semblent être à l'origine des cristallisations de gypse (Fig. 4c, Gy) qui forment les efflorescences blanchâtres observées en surface. Ce phénomène d'altération connu des peintures murales apparaît ici directement lié à l'activité de bactéries.


Figure 5 : Spectres EDX d'analyse élémentaire à l'endroit des spots oranges (a- Fig. 4b ; b- Fig. 4c), et vue de détail des parties de la couche rouge en cours de délitement (c- MEB, ERD, x 2000).





L'observation des parties superficielles de la couche rouge en cours de délitement montre la pénétration de groupes de bactéries en cours de minéralisation, à la périphérie desquelles se développent des cristallisations de gypse (Fig. 4c et 5c, flèches).

Enfin, les tests de coloration microchimiques (absence de réaction) et les analyses en spectroscopie IR n'ont pas permis de déterminer la nature du liant de la couche picturale rouge.



Conclusion :

Compte tenu des présentes observations, l'altération de la couche picturale rouge (restauration du XIXe s.) se traduisant par un effritement et l'apparition de zones d'écaillage, semble être liée à la conjonction de plusieurs facteurs :

  • l'existence d'une contamination bactérienne, très probablement responsable de la destruction de la plus grande partie du liant existant et du développement de sels à l'interface entre la couche picturale et l'apprêt sous-jacent (ici cristallisations de gypse) ;
  • l'alternance de fortes périodes d'humidité relative et de réchauffement subies par une couche picturale comportant à la fois une importante proportion d'argile et un liant en cours de dégradation.






III / Evaluation des tests de consolidation (extrait) :

Afin de tenter d'évaluer la profondeur de pénétration et donc l'efficacité des produits consolidants mis en œuvre par les restaurateurs, des prélèvements sont effectués dans des zones tests (Fig. 1a, P1, P2, P3).


Figure 1 : a- Exemple de zone test pour la mise œuvre de produits consolidants; b- détail de la surface d'une couche picturale jaune après refixage au paraloïd B72 (stéréomicroscope, x 42).



L'échantillon prélevé dans la zone P2 comporte une couche picturale jaune consolidée par pulvérisation d'une solution à base de Paraloïd B72 (dissout à 5% dans du méthyléthylcétone) visible en surface à fort grandissement (Fig. 1b, flèches).

L'étude au microscope inversé du fragment en microsection (Fig. 2a) permet d'évaluer la pénétration du produit au niveau de la couche picturale. Dans les parties les plus poreuses, on observe que la solution a pénétré dans toute l'épaisseur jusqu'à la zone d'interface avec le mortier-support (Fig. 2a, flèches).

A titre expérimental, une image réalisée sous fluorescence UV et traitée en fausses couleurs montre la profondeur de pénétration de la solution consolidante (Fig. 2b, agrégats vert-jaunes).


Figure 2 : Vues de détail d'une zone traitée avec du paraloïd B72, a- microscope inversé (x 198),
b- zone du cliché a observée en fluorescence UV et traitée en fausses couleurs (microscope optique, x 250).
Li = liséré d'interface, M = mortier support.