Figure 1 : Observation au stéréomicroscope de deux micro fragments de peinture (a- face interne, b- face externe).
Les numéros correspondent aux couches décrites plus loin dans la stratigraphie.
On observe sur la face interne une couche brun-rouge (Fig. 1a, 1), une couche grisâtre à jaune (2a et 2b), une couche gris-rosée (3), un vernis miel (6), et une couche superficielle mate (7).
La face externe des micro fragments est recouverte d'une couche superficielle brunâtre, d'aspect mat qualifiée de repeint (Fig. 1b, 7).
L'échantillon de la figure 1a est ensuite étudié en microsection en microscopie
optique, sous différents types d'éclairages. Pour cela il est enrobé dans une
résine époxy et une coupe polie perpendiculaire à sa surface est effectuée (Figure 2).
Figure 2 : Exemple d'échantillon de peinture préparé
en inclusion polie
pour l'observation en microscopie optique.
La microsection permet d'étudier les couches picturales en stratigraphie, et d'évaluer
ainsi la succession, la coloration et l'épaisseur des couches.
Dans l'exemple choisi, ce mode d'observation en microscopie optique montre la constitution
interne du micro-prélèvement observé à l'état brut en figure 1a : la superposition des
principales couches picturales est repérable (Fig. 3, 1 à 3). L'ensemble de la polychromie
apparaît recouvert d'un épais vernis couleur miel (6), puis d'une très fine couche
superficielle d'aspect mate (7).
Cependant, entre les couches 3 et 6, on note l'existence de couches intermédiaires qui restent
difficilement identifiables ici (Fig. 3, flèche).
Figure 3 : Vue d'ensemble en microsection du fragment de
la figure 1a.
L'étude et la caractérisation détaillées de l'échantillon nécessite l'utilisation du microscope électronique
à balayage (MEB) qui permet d'analyser de manière approfondie les différents constituants (Fig. 4), et de
déterminer leur composition élémentaire.
Figure 4 : Vue d'ensemble de la stratigraphie ci-dessus
observée au MEB en mode contraste chimique (ERD, x 205).
Le cadre localise la figure 5.
Extraits d'analyses et commentaires :
C'est notamment sur l'appui des analyses menées au MEB, et par comparaison avec les observations sous
stéréomicroscope et microscope optique (Fig. 5), que l'on reporte les résultats détaillés ci-dessous.
Ils permettent en fin de compte d'établir une fiche stratigraphique complète (Fig. 10).
Figure 5 : Vues de détail de la couche brun-rouge
au microscope optique,
en lumières polarisée (a-)
et réfléchie (b-)
et au MEB en mode contraste chimique (c- ERD, x 450).
Etude de la couche brun-rouge, extrait :
La couche brun-rouge de base (1) apparaît particulièrement hétérogène. Elle associe au moins 3
pigments rouges, 2 pigments noirs, 2 pigments blancs, une charge calcaire et très localement
des grains de quartz, ainsi que des particules d'un pigment à base de cuivre.
Les pigments rouges sont tous à base de fer : il s'agit d'ocres
rouges (Fig. 6a et 5, flèches orange), d'oxydes de fer (Fig. 5, flèches rosées) et de terres
ferrugineuses (terre de Sienne ?, Fig. 6b et 5, flèches rouges).
Figure 6 : Spectres d'analyse élémentaire MEB-EDX des ocres (a-), et des terres ferrugineuses (b-) de la couche brun-rouge.
Les pigments noirs, aussi à base de fer, sont sous forme d'oxydes de fer noirs (Fig. 5, flèches noires), ou de terres d'ombre (riches en manganèse, Fig. 5 et 7a, flèches marron, et 7b).
Figure 7 : Vue d'un détail de la couche brun-rouge (a- MEB-ERD, x 1120) et spectres EDX d'analyse élémentaire des terres d'ombre (b-)
et des grains de barytine (c-) de cette couche.
La charge calcaire associée apparaît sous forme de fragments de coquilles fossiles (Fig. 5b, 5c et 7a, flèches jaunes) : il s'agit vraisemblablement de craie.
Les pigments blancs : on détecte du blanc de plomb (Fig. 5 et 7a, flèches blanches) et, de manière très ponctuelle, des grains de barytine (sulfate de baryum, Fig. 7a, flèches bleues, et 7c).
Une analyse globale du " fond " de la couche brun-rouge (Fig. 8a) montre qu'elle est essentiellement formée d'un mélange de blanc de plomb (Pb), d'ocre (Al, Si, Fe) et de craie (Ca).
Dans cette couche, on détecte aussi de rares grains de quartz broyés, dont un gros au contact de la couche supérieure (Fig. 4, Q), ainsi que des traces d'un pigment à base de cuivre (Fig. 8a, Cu, et 8b).
Figure 8 : Spectres EDX d'analyse élémentaire représentatifs de la composition (a-) du fond de la couche brun-rouge, (b-) des particules sphérolitiques riches en cuivre. Dans le second cas, la petite taille des particules noyées dans le fond entraîne la détection des éléments environnants (Pb, Al, Si, Fe et Ca).
La morphologie des quelques particules repérables en imagerie MEB (sphérolitiques, Fig. 5 et 7a, flèches vertes) indique qu'il s'agit d'un pigment artificiel, probablement un acétate de cuivre (vert-de-gris ?).
Analyse des liants : les tests microchimiques de coloration (Fig. 9) réalisés sur la microsection montrent que la couche de préparation brun-rouge comporte un liant protéique (Fig. 9,1, réaction exclusive au violet de méthyle). La couche grisâtre à jaune juste au-dessus (2) paraît contenir un liant mixte à dominante protéique. On y détecte aussi la présence d'un liant lipidique dont la répartition n'est pas homogène (Fig. 9b, 2).
Figure 9 : Résultats des tests de coloration au violet de méthyle (a-) et au bleu de Nil (b-).
L'ensemble de ces observations indique que cette couche brun-rouge est une couche de préparation qui s'inscrit dans la tradition des préparations colorées de la peinture européenne des XVIIe et XVIIIe siècles (Réf. biblio1 et 2). Sa couleur est liée au mélange des trois variétés de pigments à base de fer souvent mis en oeuvre à l'époque, les terres brunes, les ocres et les oxydes de fer rouges, utilisés en association avec le carbonate de calcium et le blanc de plomb (Réf. biblio 2).
Cette couche de préparation brun-rouge comporte des particularités :
- La charge calcaire apparaît introduite sous forme de craie, technique typique de la peinture française au XVIIe s.
- Sa teinte est légèrement assombrie par l'adjonction de pigments noirs, suivant les indications du manuscrit flamand de Turquet de Mayerne (Réf. biblio 2), et probablement aussi d'un pigment artificiel à base de cuivre (vert-de-gris ?). Les pigments noirs sont ici sous forme de particules disséminées de terres d'ombre et d'oxydes de fer noirs.
- On détecte également quelques grains de barytine dont la présence, dans les préparations rouges, a été remarquée dans bon nombre de tableaux peints à Paris au XVIIe siècle (Réf. biblio 2). Les travaux de référence menés au C2RMF ont émis l'hypothèse que le sulfate de baryum est un matériau de charge introduit volontairement, entre 1620 et 1680, par un fournisseur de pigments parisien dans un mélange spécifique destiné à l'élaboration des préparations dont l'agent colorant est un pigment très riche en oxyde de fer.
Références bibliographiques :
- S. Bergeon, 1986, Painting technique : priming, coloured paint film and varnish, in Scientific Examination of Easel Paintings, PACT n°13, Conseil de l'Europe, pp. 35-62.
- A.R. Duval, 1992, Les préparations colorées des tableaux de l'Ecole Française. Studies in Conservation, Vol. 37, n°4, pp. 239-258.